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Une conférence d’Yvo Mertens au sujet de la douleur

Visionner  la conférence

mot de passe  : painisinthebrain

 

Je ne te sauverai pas

car tu n’es pas sans pouvoir

je ne te réparerai pas,

car tu n’es pas brisé

je ne te guérirai pas

car je te vois dans ta complétude

Je marcherai avec toi à travers l’obscurité

Alors que tu te souviens de ta lumière

 

Prière d’une femme médecine.

 

Avant d’évoquer la conférence d’Yvo Mertens sur la douleur dans le cadre d’une rencontre entre praticiens membres de la guilde Feldenkrais des praticiens belges, où j’ai découvert ce  poème, je voudrais d’abord évoquer ce hêtre   tortillard que j’ai rencontré pour la première fois en 2004, au cinéma.

Non. Il n’est pas venu s’asseoir à  côté de moi avec du pop corn, pour visionner une comédie légère. Moi j’étais dans la salle, et lui, à l’écran,  filmé  par les réalisateurs   Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil, dans l’excellent  documentaire Arbres, Un voyage immobile, inspiré par les travaux de l’arbrologue Francis Hallé…

 

Le hêtre tortillard a ceci de particulier que son développement lent et comme contrarié, le porte  chaotiquement vers la terre.

Tout en prenant de la hauteur,  il cherche  à planter ses branches dans le sol et marcotter, comme s’il voulait y  multiplier des points d’ancrage, et que  les racines n’y suffisaient pas.   D’où cette  silhouette  inquiétante, un peu azimutée, et ce nom,  que je me permets d’interpréter…

Je ne sais pas, si je rencontrais une forêt de hêtres tortillards, ce que je ferais. Je prendrais le temps de m’arrêter.  Peut-être,  me poserais-je avec eux et me mettrai-je à l’écoute de mon propre développement tortueux, et de la lumière que, depuis que j’ai pris conscience de mon pouvoir et de ma responsabilité, j’ai pu y apporter.

Quels que soient ses facteurs, la  douleur peut être décrite comme un  inconfort plus ou moins aigu qui vous oblige à tourner votre regard vers vous-même, et vous demande de vous apporter une réponse nouvelle.

Comme beaucoup de mes collègues Feldenkrais, c’est, entre autres,  un problème de dos et le refus de la chirurgie,  qui m’ont amenée à m’engager dans cette formation. Dans mon expérience de praticienne Feldenkrais, tout comme mes collègues, je rencontre régulièrement des personnes avec des douleurs.  Certaines sont  caractéristiques d’un  certain usage de soi, qui va générer des problèmes. D’autres sont consécutives  à un choc,  un traumatisme n’ayant pas été  intégrés. Dans ces ceux premiers cas, la douleur a un lien encore assez direct, avec la réalité d’une expérience passée, unique, ou répétée.

Photo- Roi dagobert-wikipedia

Quand la douleur est devenue chronique,  le lien avec une ou des expériences passées s’est  perdu.  Devenue votre invité permanent, pour la personne, elle  peut semble surgir de nulle part, en tout cas sans lien apparent avec son présent.   A son  paroxysme,   elle peut  jusqu’à créer  cette  sorte de  tortillement que les hêtres ci-dessus, donnent à voir. Un chaos dans le  système nerveux.  Et cet  état de confusion mentale caractéristique des personnes épuisées par la douleur.  Celles-ci, sont comme acculées à reconnaitre leur  douleur, à la ressentir.  Dans un tel état de détresse et de vulnérabilité,  ne pouvant plus « fonctionner normalement », les voici sommées de s’intéresser à elles-mêmes.

On découvrira, dans cette conférence, que l’immense majorité des cas de douleurs chroniques ne sont pas corrélés à un problème structurel, et ce même avec  un diagnostic médical. Quand il a été  identifié que la douleur « est dans la tête », reste à inviter la personne à changer son regard et ses croyances, car  la douleur, elle,  est bel et bien  réelle, et entre autres, peut vous  précipiter dans la  dépression.

Nous savons aujourd’hui (les neurosciences l’ont abondamment prouvé)  que la douleur, qui est toujours un signal d’alerte, est grandement reliée   à l’interprétation que la personne fait d’une situation. En d’autres termes, ce qui est perçu comme une menace est très différent d’une sensibilité à une autre, car cette sensibilité est faite de tout ce qui  constitue  cette personne et en particulier, de ses expériences passées,  qui font partie d’elle et l’ont modelée. Qu’elle a acquises, et du point de vue de son développement neurologique, « apprises »..

Une question que pourrait donc se poser  une personne avec de la douleur chronique non structurelle,  pourrait être: comment  vivait-elle, avant la douleur – quel genre de modèle s’est-elle créé ?

En quoi la douleur est-elle venu signaler un danger non  identifié de façon consciente par la personne, mais pourtant vécu comme tel, de sorte que la douleur finisse par ne plus la quitter ?

Dans un second temps, quel chemin  possible pour  désapprendre ces expériences passées ?

 

C’est tout le projet de la  thérapie présentée par Yvo Mertens dans cette conférence, et qui repose sur les mêmes fondements que la méthode Feldenkrais.

Dans cette thérapie,  il est question, entre autres,  de donner une place  aux expériences qui fondent une personne qui vit dans la douleur, de la faire parler.  Et puis, de s’occuper de la peur, bien plus que de la douleur. Car le carburant principal de la douleur, c’est bien elle,  qui se décline selon tout une panoplie d’émotions négatives (colère, culpabilité, dégoût, tristesse, etc). Il y a un vrai enjeu à regarder en la douleur non  ce qui vous tyrannise, mais  ce qui manifeste le tyran en vous-même : une petite voix en permanence en train de saboter votre image positive de vous-même, au point que vous ne savez plus que vous n’êtes pas elle.

L’objectiver, cette petite voix destructrice, c’est déjà  mettre une distance  d’avec elle.  Grâce à la possibilité d’un « jeu »,  nous allons  pouvoir apprendre un nouveau programme, où la bienveillance, la gratitude, l’humur, vont  devenir des options possibles. Se donner à soi-même de la valeur, c’est à dire de l’attention, du soin, et au-delà, des ressources, et des liens…  fait intégralement partie du chemin par lequel vous devenez l’acteur principal de votre guérison et le sujet de votre propre vie.

Ne pas vouloir absolument un résultat mais s’intéresser au processus , cultiver la légèreté,  l’humour,  la curiosité pour soi-même, pour cette complexité que nous sommes…

De ce fait, quel que soit le type de douleur, il n’y a jamais, de réponse systématique. La démarche de soin doit s’établir sur la base d’une confiance réciproque,  de façon à pouvoir investiguer ensemble et, au fil du temps, remonter le cours de la douleur  et ainsi, avancer sur la voie de la connaissance de soi-même.

Créateur des deux dernières photos : Francois VAGNON Crédits : francois@photofragments.fr
Hêtre tortillard en automne, dans la forêt des Faux de Verzy, à proximité  de Reims.

Crédit photographique de l’en-tête et de la première photo de l’article: Tortuosa, CC BY-SA 3.0 <http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/>, via Wikimedia Commons

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