L’expérience somatique, que nous partageons à travers nos pratiques (Feldenkrais, BMC, Alexander, etc.), recrée une situation de dialogue intime de soi à soi, qui donne à ressentir le corps vécu ;
elle articule mouvement, attention, et intention, et propose un contexte sécure et guidé, d’exploration de notre réalité corporelle, qui offre à la « personne », la possibilité de redevenir SUJET de sa propre expérience.
Note : « Soma », en grec ancien, c’est le corps en vie, par opposition au corps inanimé.
Elle a pour finalités : l’autonomie, le bien-être, la connaissance de soi dans le champ des lois terrestres universelles, la mise en disponibilité pour écouter son être/rêve profond, etc.
L’exploration des processus qui régissent les Corps, amène le Sujet à réinvestir et se réapproprier cette relation à son être incarné ; à revisiter ses fondations, à réactualiser ses appuis, à aiguiser sa curiosité.
Cela peut amener plus de confiance et de sécurité interne, donnant à l’être DES BASES CONCRÈTES pour se redéployer vers l’action juste.
L’anatomie envisage le corps depuis l’analyse, l’inventaire, la classification de ses parties, à partir de l’observation de corps sans vie ; ses représentations influencent encore profondément l’image que nous avons de nous-mêmes, et nous pouvons lui être reconnaissants, de tous ces repères que nous avons pour aborder cet univers extraordinaire et infiniment complexe, qu’est la matière corporelle.
L’expérience somatique vise à remettre toutes ces parties en lien, par la sollicitation d’une subjectivité qui n’oppose pas les domaines de la sensation et du ressenti, avec celui de la pensée, mais cherche plutôt à les articuler ensemble en remettant l’ expérience au centre, et la représentation mentale en arrière-plan.
Elle est une forme d’anatomie holistique et incarnée, considérant l’être dans sa totalité, et mettant les interactions entre corporéité et esprit au centre de l’attention.
Elle donne une place centrale au mouvement en tant qu’il est un rapport entre agir, et sentir; entre faire, et laisser faire, cette combinaison ayant pour effet d’influer sur la matière.
Une subjectivité qui vit une expérience somatique, est invitée à ressentir et éprouver le réel de sa propre expérience, ce qui inclut l’opération de réceptionner (ressentir) les effets de cette rencontre avec le réel en soi-même :
une Conscience s’incorpore, et ce processus-là, inaugure une nouvelle aventure, faite de moments précieux et fragiles, profondément et intimement structurants.
Connaître par l’expérience somatique, c’est nourrir sa subjectivité par une attitude d’exploration et de questionnement ; c’est affiner ses perceptions par l’écoute du sentir et du ressentir, c’est donner une vraie place à son expérience intérieure. C’est apprendre à s’exprimer à partir de soi, par ces approximations verbales qui nous permettent de partager notre subjectivité et d’ouvrir notre espace intime, dans le respect de la limite que l’expérience corporelle nous apprend à ressentir…
La Conscience somatique est donc un état d’ouverture, ancré dans la réalité, par une démarche de recherche et d’investigation du Réel, dont le sujet fait intimement partie, et qui se fonde sur l’attention aux « manifestations inaugurales de la conscience « (1)
Depuis notre laboratoire somatique, nous apprenons à relier nos projections, simulations, et autres prospectives mentales, au présent de ce qui se vit, ici et maintenant, au coeur du Corps Vivant…
Les recherches en neurosciences nous aident à comprendre qu’apprendre n’est pas synonyme de stocker, ni d’imiter, ni de recopier. Il s’agit de tout un processus qui implique le corps tout entier (dans son espace-durée) et qui consisterait à réorganiser ce qu’on sait déjà, c’est-à-dire accueillir le nouveau dans le déjà là. »,
Hélène Trocmé-Fabre, Le Langage du Vivant.
(1) Sentir et savoir, une nouvelle théorie de la Conscience, Antonio Damasio, 2021.
UNE BRÈVE HISTOIRE DES PRATIQUES SOMATIQUES
« L’Humain, c’est l’Univers qui prend conscience de lui même », Stephen Hawkings.
Au tournant des 19ème et 20ème siècles, Mouvement, et Conscience se sont alliés, créant un nouveau domaine d’investigation de l’attention humaine, qui a vu émerger la pensée somatique, dans un moment historique où le matérialisme semblait triompher et imprégner tous les domaines de la connaissance.
A la croisée des champs thérapeutiques et artistiques, – voir le travail de Mabbel Todd sur le « corps pensant et l’analyse du mouvement selon Laban dans le domaine de la danse -, les pratiques somatiques sont, pour beaucoup d’entre elles, nées de la rencontre entre une subjectivité humaine, et un problème fonctionnel, qui deviendrait le point de départ d’une investigation et d’une recherche amenant un nouveau regard, sur le dit problème :
la nécessité de la Technique Alexander est ainsi liée à la perte de sa voix pour Mathias Alexander, celle de la Méthode Feldenkrais, d’une double blessure au genou pour Moshé Feldenkrais, l’Eutonie, au syndrome de rhumatismes articulaires aigus que Gerda Alexander s’est découverte à l’âge de 17 ans, quant à Brainbridge Cohen, à l’origine du Body Mind Centuring, le contact avec un public de jeunes gens en proie au handicap moteur, l’a fortement marquée.
Les pratiques somatiques sont, ainsi, l’un des chemins empruntés par l’Esprit, pour remettre du mouvement là où la pensée humaine étouffait dans son carcan d’objectivité rationnelle. L’intrication entre Esprit et Corps est devenue un champ d’investigation ; elle a permis d’entrevoir la vastitude de la notion de SUJET; elle a montré combien les interactions entre ces deux dimensions, Esprit et Corps, sont en capacité, tantôt de transformer la Matière à partir de l’Esprit, et tantôt de révéler l’Esprit, à partir du Corps…
Avec l’appui des recherches scientifiques et biologiques, puis neurobiologiques, lesquelles ont après coup, validé ces directions de recherche, il s’agit d’appréhender ces processus auxquels le Corps est soumis, en confrontant la carte au territoire, à partir d’un changement de posture : non plus asserter ob-jectivement, à partir de l’ob-servation d’ob-jets inanimés mais remettre au centre de notre investigation, la mise en observation du sujet.
Ainsi le VIVANT va-t-il s’appréhender tout autrement.. et l’humilité redevenir une qualité fondamentale de la connaissance.
C’est une évolution majeure, dont nous n’avons pas fini de mesurer la portée. Nous quittons l’ère des hiérarchies, pour retrouver, après tout un chemin, la dimension originelle, du Cercle, où chaque UN, quel que soit le règne auquel il appartienne, occupe sa juste place dans un écosystème.
Par ce bouleversement, c’est peut-être une Conscience planétaire qui est en train d’émerger, et le somatique participe de cette naissance.
L’exploration de notre corporéité, régie par des processus biologiques, nous donne à découvrir combien les frontières entre les règnes sont poreuses. Embarqués dans des réorganisations et des adaptations permanentes, qui nous invitent à nous penser moins en tant qu’individualités, que comme espèce, notre vision de ce qu’est la santé, l’équilibre, la pédagogie, doivent désormais s’articuler avec la notion d’écosystème. Depuis notre laboratoire de chair, d’os et de tant d’autres merveilleuses matières, nous tissons des liens avec tout ce qui nous entoure, par un échange permanent d’information. Ce tissage passe par la conscience de Soi. Car nous tissons vers ce qui nous nourrit et nous inspire – vers ce qui nous attire. Nous tissons avec des êtres, avec ces valeurs en lesquelles nous avons foi, et que nous affirmons, par nos sensibilités… Ce que nous tissons parle de notre ancrage à la Terre, et de notre connexion aux forces spirituelles qui font de nous des Créateurs.
Et si notre futur se tramait dans cette mosaïque d’intelligences organiques dont nous commençons de comprendre qu’elles coopèrent ensemble bien au-delà de ce que nous pouvions imaginer ? Si nous osions considérer le genre de sagesse qui régit nos 100 milliards de cellules, et apprenions à dialoguer avec ? Si nous mettions en lien ce quatrième état de l’eau avec la place des fluides dans notre propre composition physique ? si nous osions écouter en nous-mêmes, cette puissante intelligence du vivant, qui nous dépasse et constitue pour autant, un aspect central de notre réalité biologique ?
Les pratiques somatiques ramènent le grand oeuvre, dans le champ concret, ludique, et exploratoire, du CORPS PRÉSENT.
Pas à pas, elles nous ouvrent des espaces initiatiques, pour investiguer et investir notre Intériorité. Elles contribuent à remodeler notre système nerveux. Elles nous plongent dans la réalité des processus du vivant, qui est Mouvement, Vibration, & Création de Formes.
Nous avons pour nous cette plasticité qui parle de notre potentiel évolutif. De notre vulnérabilité aussi, qui n’est qu’une autre façon de considérer notre merveilleuse capacité de transformation et d’apprentissage.
Et apprendre, pour laisser le dernier mot à Moshé Feldenkrais, c’est restaurer, en l’humain, sa DIGNITÉ.